Le Judaïsme, pourquoi faire ? Par Nessim Cohen-Tanugi

Pourquoi un peuple juif ? Pourquoi un état juif ?

Le Rav Poultorak, un fidèle de toujours du Lien, nous écrit pour poser quelques questions essentielles sur nos derniers articles concernant l’identité juive.

Une « refondation », certes, mais si ce n’est le judaïsme traditionnel, alors de quoi s’agit-il ? S’agirait-il de développer l’enseignement juif de l’histoire, de la géographie, du droit, de la morale ou de la philosophie ? S’agirait-il de remettre à jour la Haskata ou le Hassidisme ? Quel contenu donner à cette identité juive sinon le Judaïsme ? Il s’agit là d’interrogations fondamentales.

Parler de « refondation » au sujet d’Israël peut paraître surprenant Israël n’a-t-il pas été fondé au nom de la Bible et du Judaïsme ?

Est-ce que l’on sous-entend que ce ne serait plus un État juif ou, au contraire, qu’il faudrait le couper de ses fondements juifs ?

C’est qu’en fait Israël est plutôt un État pour les Juifs qu’un État juif. D’ailleurs, l’expression état juif a-t-elle un sens ? Seuls des hommes peuvent être juifs, un État n’est pas un être vivant pour avoir une religion et la pratiquer. Tout au plus, cela voudrait dire que le Judaïsme en serait la seule religion officielle reconnue par le pays, ce qui n’est en rien le cas et ce qui n’est pas souhaitable.

Pourquoi donc poser le problème de sa « refondation » ?

C’est que tout simplement, lors de sa proclamation, les fondateurs, conscients qu’il y avait là un problème, l’ont esquivé en remettant à plus tard l’adoption d’une constitution parce que le Judaïsme n’a jamais approfondi le problème de la constitution d’un État.

Le Judaïsme rabbinique

Pendant deux mille ans, en effet, le Judaïsme s’est intéressé à l’individu juif, à la personne, et non aux institutions et à l’État. Il est resté focalisé sur une question devenue essentielle, vitale même par suite de la disparition des deux royaumes juifs : comment demeurer juifs en exil, comment demeurer une nation, un peuple, lorsque l’on n’a pas d’État ?

Le rabbinisme a magnifiquement surmonté l’obstacle et a sauvé l’identité juive de la disparition qui aurait pu, (qui aurait dû, même) se produire après l’anéantissement de toute forme d’existence identitaire juive sur la terre des Juifs par l’empereur Hadrien. Il extermina toute la résistance juive, rasa Jérusalem et décida d’effacer tout souvenir du Judaïsme en changeant, en l’an 135 de notre ère, le nom du pays, Judée, (Yehouda pays des yéhoudim, les Juifs) par celui de Palestine, qui voulait dire pays des Philistins.

S’il n’y avait plus de pays d’Israël il restait le peuple d’Israël, dispersé, certes, à travers l’empire romain mais néanmoins toujours vivant. Le rabbinisme prit en charge la transmission de l’identité juive et sa pratique quotidienne de génération en génération en la limitant à ce qui était compatible avec l’exil : on peut, n’importe où dans le monde mettre des téfilin, prier trois fois par jour, manger kasher, faire Kippour, respecter le shabbath.

Mais ce qu’on ne pouvait plus faire, aller au Temple, offrir les sacrifices des fêtes de pèlerinage, pratiquer la shemittah, élire des « officiers et des Juges », offrir les prémices etc. on pouvait, faute de mieux, l’étudier.

Or, le rabbinisme n’a pas fait que conserver les traditions et commandements : il les a approfondis et enrichis d’une imposante littérature sapientiale. Mais ce ne fut pas le cas pour les commandements concernant le pays d’Israël, puisque qu’il n’existait qu’en souvenir en tant que pays juif. 

Le Rabbinisme a considérablement enrichi de ses commentaires et réflexions le Judaïsme sous son aspect conciliable avec la vie en diaspora mais très peu sous l’angle de l’existence nationale et de ses aspects politiques, historiques et sociaux. La réflexion sur des institutions juives, sur les fondements idéologiques d’un État, n’a pas été menée.

C’est l’une des raisons de la crise d’identité en Israël. Une fois l’objectif de la résurrection nationale atteint, nous nous sommes trouvés démunis de bases idéologiques pour « judaïser » l’ensemble des institutions. 

L’appareil halakhique élaboré pour la diaspora ne nous dit pas grand chose sur les règles qu’il convient de suivre avec les autres nations, alliées ou hostiles, ni sur les institutions qui conviendraient, ni sur l’équité sociale, ni sur la Justice qui, dans le cadre d’un État, ne peut se confondre avec un beith din diasporique, ni sur l’enseignement qui ne peut plus être celui d’un talmud torah etc. Nous avons donc paré au plus pressé en nous inspirant de l’exemple des nations occidentales.

Nous nous sommes trouvés désarmés, confrontés à nouveau au redoutable défi que constitue l’existence nationale.

Mais, dira-t-on, il y a eu déjà plus d’un millénaire d’existence nationale au temps des royaumes d’Israël et de Juda : il suffit de s’inspirer des leçons du passé.

Or, précisément, pendant les douze ou treize siècles d’existence des royaumes juifs en terre d’Israël, le problème d’une existence nationale authentiquement juive n’a pas trouvé de solution satisfaisante sauf à de très rares et de très courtes périodes, principalement au temps de David, de la première partie du règne de Salomon, et des rois Ezéchias et Josias. Il y a eu échec du royaume d’Israël, et échec du royaume de Juda. L’existence nationale juive n’a pas su triompher des contraintes matérielles et géopolitiques tout en préservant son identité.

L’État d’Israël se retrouve exactement avec la même problématique et les mêmes impasses aujourd’hui.

Israël n’est pas un État juif, c’est l’État des Juifs qui y cohabitent avec des visions très différentes, parfois inconciliables sur l’identité de l’État : laïcs, athées, traditionalistes, dati et haredi, sionistes religieux ou messia­niques.

La situation est devenue gravement conflictuelle et Israël est aujourd’hui en péril. Si l’on veut éviter une implosion, il est urgent de refonder l’État et de faire de ce projet le grand dessein qui mobilise l’ensemble des Juifs.

Notre but n’est pas ici d’écrire une Constitution nationale juive, ni davantage de définir ce projet. Avant de l’écrire, il faut en effet se demander quelles sont les valeurs fondamentales qui doivent guider notre réflexion.

Il faut pour cela répondre à deux questions préliminaires :

  1. D’abord à quoi sert le peuple juif, pour quoi et pourquoi existe-t-il ?
  2. Ensuite, pourquoi et en quoi a-t-il besoin d’un État ?

Pourquoi un peuple juif ?

Centralité de la Bible

Le peuple juif est le peuple de la Bible, pas seulement parce qu’elle a été écrite par des Juifs et que le peuple juif en est le sujet central, mais d’abord et avant tout, parce que c’est elle qui fonde l’identité juive, et c’est vers elle qu’il faut se tourner quand on s’interroge sur les Juifs : s’ils mangent kasher, s’ils mettent des téfilin, s’ils font Kippour ou prient trois fois par jour etc. C’est tout simplement parce que c’est écrit dans la Bible.

Le problème n’est donc nullement de savoir si la Bible est un document historiquement ou scientifiquement valable, si D.ieu existe ou n’existe pas, si tous les événements relatés sont vrais ou largement imaginaires ou mythiques.

Quelle que soit la réponse, une chose est sûre : la Bible est le fondement de l’identité juive et c’est à elle qu’il faut recourir pour comprendre cette identité. Il faut, en quelque sorte et provisoirement, mettre entre parenthèses ces questions. Nous ne les éludons pas. Nous y reviendrons en temps utile.

Et selon la Bible, D.ieu a voulu qu’un peuple lui soit consacré. Pourquoi ?

Bien des Juifs sont persuadés que D.ieu s’est choisi un peuple pour chanter Sa grandeur et Sa gloire et que tels sont le devoir et la mission des Juifs.

Mais D.ieu est-il un homme pour avoir soif de kavod, d’honneurs ? Et l’homme lui est-il tellement indispensable pour que D.ieu ait besoin de lui pour être ?

« Qu’est-ce que l’homme pour que tu t’en souviennes? » s’exclame David.

Mais alors à quoi servent les innombrables commandements donnés aux Juifs ?

La réponse est simple et évidente : ils servent aux Juifs pas à D.ieu.

Les commandements ne sont pas une fin mais un moyen.

Ils sont à l’âme, à la neshamah, ce qu’est la gymnastique au corps.

Si l’homme ne cultive pas son âme, sa spiritualité, il risque fort de se laisser totalement absorber par le monde profane de la vie quotidienne et d’y perdre son âme.

Les prières et les rites sont les aliments de l’âme, sont ce qui nous permet de dépasser la stricte condition de nefesh, de dam vebassar, d’êtres de chair et de sang.

Les mitsvot préparent le Juif à l’accomplissement de sa mission, elles ne sont pas sa mission, mais les indispensables moyens de sa mission.

Quelle est cette mission, scellée par une Alliance, une Brith, qui demande aux Juifs d’accepter « le joug de la Loi » pour pouvoir être accomplie ?

Pourquoi D.ieu a-t-il voulu se donner un peuple et pourquoi l’a-t-il éduqué dans le désert ?

Pourquoi lui a-t-il révélé la Loi, pourquoi a-t-il exigé qu’il s’engage à la respecter sous peine d’effroyables malheurs ?

La réponse est dans le livre de la Genèse et c’est pour cela que ce livre précède le récit de la naissance du peuple juif, de ses pérégrinations, de son exaltante et douloureuse histoire depuis l’aube du monde. Sans la Genèse et ses premiers chapitres, il est impossible de répondre à la question « Pourquoi un peuple juif ? ».

Grandeur et tragédie de la Création

Ne commettons pas l’erreur de lire ce livre comme un livre relatant des faits historiques et scientifiques.

(1) : il est le premier des cinq livres de la Torah, qui signifie enseignement, et vient d’une racine qui veut dire montrer le chemin d’un mouvement de la main.

La Torah est la Voie, et ce n’est pas par hasard que ses règles s’appellent Halakha qui veut précisément dire parcourir un chemin.

Le récit de la Création est d’une grande richesse d’enseignements. Pour rester dans le seul cadre de notre sujet, il veut d’abord nous délivrer un premier message : la Création est une œuvre merveilleuse et l’homme est son joyau et son couronnement.

Second message qui importe dans notre propos : il faut noter que bien que l’oeuvre ait été achevée en 6 jours, le septième jour, jour de non-création, fait pourtant partie de la Création.

Parmi les très nombreux commentaires sur ce verset, retenons qu’en ce jour, D.ieu s’est retiré de la Création pour permettre à l’homme de la prendre en main, de poursuivre et d’achever l’oeuvre de la création.

D.ieu ne gère plus notre terre, c’est l’homme qui la gère. D.ieu maintient son existence et il n’intervient que pour tenter d’empêcher l’homme de détruire son oeuvre. C’est pourquoi, pour les Juifs, il est absurde d’accuser D.ieu des malheurs qui accablent l’humanité : c’est l’homme qui en est la cause, pas D.ieu !

Au septième jour, commence donc l’aventure humaine.

Nous arrivons au centre même de la problématique de la Bible, à la question cruciale : comment se fait-il, alors que la Création est si belle et que l’homme, conçu à l’image du Créateur, est intelligent et créatif, que la terre soit devenue un enfer où règnent le vol, le viol, la violence, l’exploitation de l’homme par l’homme, la faim, le malheur, la mort ?

Les chapitres suivants du Livre sont consacrés à cet échec de la Création.

Dieu avait conclu une alliance avec l’homme et lui avait confié le monde pour qu’il en devienne le gardien.

Et voici que l’homme, doté par D.ieu de la liberté malgré le risque pris en connaissance de cause (2) va rompre son alliance par deux fois.

Il va violer l’interdit de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal : péché véniel en apparence aux conséquences cataclysmiques.

Cette transgression donne en effet à l’homme le pouvoir de « connaître » le bien et le mal. Mais il ne s’agit nullement de connaissance au sens que nous donnons à ce mot comme le croient la plupart des lecteurs : ce serait trop beau si l’homme avait acquis ce savoir ! Le mot hébreu employé signifie « avoir dans sa main » c’est- à-dire posséder, être le maître du bien et du mal. 

Désormais, à la fois libre et souverain de décider ce qui est bien ou ne l’est pas, l’homme ne va plus être le gardien de la Création, mais son maître : il va l’asservir à ses désirs, le monde est sa proie et il en est le prédateur, engendrant ainsi un cycle de violences interhumaines dans une lutte impitoyable à la conquête du « toujours plus » et du « moi d’abord ».

La Bible fait ce terrible constat :

« D.ieu vit alors que les méfaits de l’homme se multipliaient sur la terre et que le produit des pensées de son coeur était uniquement et constamment mauvais ; et l’Éternel se ravisa d’avoir créé l’homme sur la terre. » (Béréchit/Genèse 6 : 5 et 6)

Abraham, en quête d’un monde autre, va cependant tenter une seconde expérience avec Noé qui se conduisait en Juste dans un monde injuste, espérant qu’en partant d’une racine juste se développeraient des générations de Justes.

Il conclut donc une nouvelle alliance avec lui (Béréchit/Genèse 6 : 18) et la confirme au lendemain du Déluge (Béréchit/Genèse 9 : 9 ).

Mais ce sera aussi un échec : sa descendance refusera également une alliance qui lui impose une vocation qu’elle n’a aucun désir d’assumer. Avec l’histoire sapientiale de la tour de Babel, les hommes s’unissent certes, non pour accomplir le dessein divin mais pour, au contraire, s’en affranchir à jamais.

Bonté Infinie de D.ieu

C’est là que D.ieu, qui s’est interdit de détruire une seconde fois l’humanité, va tenter une troisième voie : une alliance avec un peuple qui accepterait, lui, de ne pas décider librement du bien et du mal, de ne pas utiliser sa liberté pour satisfaire ses désirs et ses instincts, qui accepterait de soumettre sa nefesh animale, faite de chair et de sang, à sa neshamah, son esprit, sa conscience, ce souffle insufflé par D. en l’homme.

A cette fin, Dieu va modeler un peuple destiné à être un partenaire lié par une Alliance pour accomplir son projet pour l’humanité.

Genèse du peuple juif

Comme avec Noé, son choix se portera sur un Juste en son temps, un homme dont la conduite était ce que D.ieu attendait de tous les hommes, Abraham.

De sa descendance, par Isaac et Jacob naîtra le peuple hébreu qui va ensuite s’appeler le peuple juif, nom de la principale tribu, Yehuda, qui subsistera après la disparition des 10 tribus du royaume d’Israël.

Cette fois-ci, D.ieu imagine une toute autre stratégie pour donner à l’humanité une chance de mériter la vocation que D.ieu lui avait réservée.

La voie de la transmission héréditaire charnelle a échoué. Un père vertueux ne garantit pas des fils vertueux, puisque l’homme est libre. 

C’est désormais la transmission de « valeurs » qui peut assurer la rédemption de l’humanité. Il faut que de génération en génération, les descendants se transmettent ces valeurs et surtout s’y soumettent.

C’est à ce titre qu’Ismaël et Esaü, pourtant descendants d’Abraham et aînés de Jacob, seront écartés de l’héritage. Ils ne sont pas prêts à accepter, comme le fera Jacob d’endosser l’héritage spirituel et la mission d’Abraham :

« Voici, dira Esaü, je marche à la mort. A quoi me servira le droit d’aînesse ? » (Béréchit/Genèse 25 : 22) 

Et il vend son droit d’aînesse contre un plat de lentilles à Jacob qui, lui, rêvait de l’assumer.

Ainsi commence l’histoire du peuple qui va accepter, contrairement aux autres, d’être un partenaire de D.ieu sur terre, de conclure une alliance indéfectible, de transmettre l’enseignement que va lui divulguer D.ieu à travers mille épreuves.

Comme annoncé par D.ieu à Abraham, les enfants de Jacob immigreront en Égypte et y connaîtront l’esclavage et la première tentative d’extermination.

Qu’on nous permette une courte digression sur l’intervention de D.ieu dans l’histoire des hommes selon le Judaïsme. Lorsqu’on lit l’histoire de Joseph et de ses frères, la série d’événements qui vont conduire Jacob et sa famille à immigrer en Égypte, parait relever du hasard et de la seule responsabilité humaine et indiscutablement, à la lettre, il en est ainsi. Mais tout aussi indiscutablement, ils ont accompli le dessein divin.

Les hommes décident librement, mais en définitive c’est le dessein de D.ieu qui s’accomplit. Joseph, prophète entre les prophètes, en eut la claire intuition lorsqu’il dit à ses frères écrasés par la responsabilité de leur crime envers lui : « Et maintenant, ce n’est pas vous qui m’avez fait venir ici, c’est D.ieu ».

L’épreuve égyptienne

Ceci dit, répondre à l’acceptation de l’alliance en envoyant les Juifs en Égypte pour y devenir esclaves paraît une bien étrange récompense et une tout aussi étrange ingratitude ! Mais pourquoi faut-il donc que le peuple choisi comme allié subisse une telle épreuve ?

C’est que le double esclavage physique (les travaux) et spirituel (les dieux-animaux de l’Égypte) doivent devenir pour le peuple choisi les antivaleurs de référence.

Traiter un homme en esclave, c’est le ramener à l’état d’animal domestique dressé à servir son maître. C’est la négation même du statut humain, c’est nier qu’il soit à l’image de D.ieu, c’est refuser de considérer son prochain comme un autre soi-même en le ravalant à l’état d’outil, d’instrument utilisable à jeter quand il est usé.

« Rappelle-toi que tu as été esclave en Égypte’, va devenir un thème récurrent de la conscience juive, une expérience qui doit lui faire rejeter à jamais une conception de l’homme qui lui dénie d’être un « alter ego », un autre moi-même, mon « prochain ». 

Les valeurs du monde païen sont incompatibles avec celles du monothéisme juif.

Le D.ieu des Juifs veut que l’homme soit libre et qu’il n’use pas, n’abuse pas plutôt, de sa liberté pour en priver les autres.

Le passage en Égypte a une seconde « vertu », si l’on peut dire. Normalement, le peuple juif aurait dû disparaître et être anéanti selon le plan manigancé par Pharaon. Il n’échappera à ce destin que par l’intervention divine. Moïse est tout sauf un révolutionnaire qui appelle son peuple à la révolte et à la libération par la force de son esclavage. Moïse n’accomplira aucun, strictement aucun acte héroïque, qui forcera Pharaon à lâcher son emprise. Toutes les plaies de l’Égypte sont l’oeuvre de D.ieu seul, Moise se contentant de les annoncer.

Cela veut dire que si le peuple juif n’a pas été exterminé en Égypte, il n’en a aucun mérite. Il doit tout, absolument tout à D.ieu.

Dès lors, l’Alliance que va conclure D.ieu avec Israël va prendre une toute autre dimension : on doit tout à Celui qui vous a sauvé d’un inéluctable anéantissement.

Ou le peuple juif assume pleinement l’Alliance ou D.ieu lui retirera sa protection et il disparaîtra, comme des milliers d’autres peuples, de la scène de l’Histoire.

Les Juifs vont troquer leur statut d’avadim » (au premier sens du terme, esclave) de Pharaon pour devenir « avadim » (au second sens du terme, serviteur) de D.ieu. Ils ont changé de maître, en apparence sans bénéfice comme le fait remarquer non sans malice l’un des quatre enfants du séder de Pessah. 

En réalité, les Juifs vont devenir dépositaires d’un destin à la fois prodigieux et terriblement douloureux, incarner une alternative de valeurs, devenir comme le dira Isaïe, la lumière des Nations, et en souffrir doublement.

D’abord, parce que la tâche est au dessus des forces d’un être de chair et de sang, et que cet inévitable échec partiel procure un sentiment de culpabilité. Ensuite, parce que prôner des valeurs à l’encontre de celles de la majorité expose à la haine et à la persécution.

Comme le chantait si bien Brassens : « Non, les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. »

A travers les siècles, les Juifs ont été haïs à la fois parce qu’ils respectaient d’autres valeurs, et contradictoirement parce qu’ils n’avaient pas été fidèles à ces valeurs. C’est une caractéristique de l’antisémitisme, comme l’avait noté finement Charles Péguy, que de reprocher aux Juifs quelque chose et son contraire.

Le cas très particulier des Juifs est qu’alors que les hommes décident librement du système de valeurs auquel ils adhèrent, les Juifs, eux, n’ont pas ce choix, sauf à sortir de leur peuple. Ils sont tenus d’adopter celui qui lui a été dicté par D. par la voix de Moise. On peut dire que tous les hommes sont libres sauf les Juifs !

Il n’est pas possible d’entrer, dans le cadre de cet article, dans le détail de ce système de valeurs transmis par la Torah. Mais il faut lever une ambiguïté.

On pourrait croire que ce système de valeurs n’est à prendre en charge qu’individuellement : c’est la morale, les règles de vie que tout Juif doit respecter et à quoi il s’engage individuellement lors de sa bar-mitsva.

Si tel était le cas, D.ieu n’avait aucune raison de leur promettre une terre. Bien au contraire, leur dispersion à travers le monde aurait été le meilleur choix. Ils pourraient ainsi, au sein du monde païen, semer les graines de la vérité et de la morale.

Beaucoup de Juifs ont pensé que la dispersion des Juifs à travers le monde n’était en rien une « punition » divine, mais répondait au dessein du Créateur. Beaucoup de Juifs encore aujourd’hui sont réservés sur la résurrection de l’État juif et pensent que la diaspora répond à la vocation juive.

Ce fut d’ailleurs le choix délibéré à l’aube de notre ère d’une secte juive, les Nazaréens, qui voulurent porter la parole messianique à travers les Nations et devinrent ainsi le grand peuple chrétien.

Pourquoi un Etat juif ?

Le moins qu’on puisse dire est que la dispersion des Juifs a amené bien des malheurs au peuple juif et bien peu de leçons d’humanisme juif aux Nations.

Quoi qu’il en soit, cette hypothèse est infirmée par la Bible.

Ézéchiel, par exemple, loin de glorifier la dispersion, la qualifie non de bénédiction mais de « profanation du Saint Nom » (36 : 20 et suivants). Et il confirme que D.ieu ramènera son peuple à la seule place qui convienne, la terre promise à Abraham et Moïse.

Le thème de la terre promise où les Juifs doivent aller s’installer, vivre, prospérer et édifier une société selon les valeurs de la Bible est le thème constant de toute la torah depuis le moment où Abraham quitte son pays de naissance, précisément pour se rendre sur cette terre, jusqu’à l’arrivée au bord du Jourdain sous la conduite de Moïse.

Cette insistance sur la terre promise n’est pas due au hasard. C’est que, contrairement à ce que croient beaucoup trop de Juifs, il est impossible d’être pleinement juif en dehors de la terre d’Israël, non seulement parce que de nombreux commandements concernent la terre d’Israël et ne sont applicables qu’en ce lieu, mais surtout parce qu’il est strictement impossible aux Juifs d’accomplir la mission qui est la leur ailleurs que sur leur terre.

Quelle est donc cette mission ?

Il faut pour cela préciser quel est l’objectif de D.ieu et ensuite le rôle du peuple juif dans ce plan. 

D.ieu ne se résigne pas à l’échec de la Création ou plus exactement à sa dénaturation par le refus de l’homme de parachever le projet divin et d’en être le gardien. C’est la rédemption de l’humanité que recherche D.ieu, le retour de l’homme à sa vocation primitive, la fin de la violence, du règne de la loi du plus fort, du mensonge, de l’injustice.

La rédemption doit être collective

Pour conduire l’homme sur le chemin de la rédemption, D.ieu n’a pas besoin d’individus saints : les expériences d’Adam, Noé, et même d’Abraham en tant qu’individu ont prouvé les limites du pouvoir des saints à changer le monde.

Pourquoi une multiplication de Justes, comme Hénoch, Noé, Job, ou Abraham ne ferait-elle pas l’affaire ?

C’est que l’homme, on a tendance à l’oublier dans notre civilisation moderne individualiste, ne peut survivre que dans le cadre s’une société, d’une collectivité complexe où les individus jouent un rôle complémentaire les uns vis-à-vis des autres.

Dans notre vie quotidienne, autrui est présent partout. Les actes les plus triviaux de notre existence sont tributaires de l’existence de milliers d’autres alter ego sans lesquels il nous serait impossible, de manger, de boire, de dormir, de se loger, de se chauffer, de se déplacer, de lire, d’écrire, de se divertir etc.

Tout homme, même s’il s’imagine dans son for intérieur travailler pour lui, travaille pour les autres. Chaque individu se trouve inséré dans un réseau invisible extrêmement complexe de relations interindividuelles.

Et c’est dans ce cadre, et uniquement dans ce cadre, que se révèle l’échec du projet divin pour l’homme.

Tant qu’Adam était seul, il n’a pas péché. Il a fallu pour cela qu’il y ait la femme et le serpent. Caïn, s’il avait été seul, n’aurait pu assassiner Abel.

Tuer, voler, violer, exploiter son prochain, truquer les poids, déplacer les bornes, exercer des violences impliquent un « être avec », un « être ensemble », une vie au sein d’une collectivité, d’un peuple.

Tout compte fait, il est facile d’être un saint si l’on se retire du monde et si l’on vit en ermite. Dans ce cas si l’on cède au péché, c’est vis-à-vis de D.ieu seul, Robinson Crusoë, seul dans son île, ne peut être un pécheur, tuer ou exploiter qui que ce soit. L’iniquité ne peut se répandre sur terre que dans le cadre d’une collectivité humaine. C’est pourquoi il n’est autorisé au Juif d’être un nazir que pour un temps très limité au terme duquel il doit de surcroît se purifier. 

Par haine du mal, bien des hommes on crut trouver la solution en se retirant de la société, pour aller vivre dans le désert, comme à Qumram, dans les monastères, ou en ermite.

Se mettre à l’abri du mal ne met pas le monde à l’abri du mal.

L’homme est obligé de vivre dans le cadre d’un peuple et ce n’est que dans le cadre d’un peuple qu’il peut être un artisan du mal. C’est donc la vie en société qui doit être rédimée. C’est une autre façon de vivre collectivement qui doit être inventée pour que l’homme et la Création soit réconciliés.

C’est le but de la Révélation et de l’enseignement de la Loi et de son symbole, les Tables des Dix commandements.

« Si D.ieu n’existe pas, tout est permis »

Il y a, rappelons-le, deux Tables de la Loi.

La première concerne les rapports de l’homme avec D.ieu, la seconde celle de l’homme avec son prochain.

La nécessité de la seconde Table paraît évidente à tous. Il est acquis depuis des siècles que toute révolution a vocation à modifier les rapports humains. Mais pourquoi faut-il une première table régissant les rapports à D.ieu ?

Dostoïevski a trouvé à ce sujet une formule lapidaire : « Si D.ieu n’existe pas, alors tout est permis. »

Cela veut dire tout simplement que si l’homme se met au centre du système, alors tout système est légitime. L’homme est libre de choisir le système de valeur qu’il veut.

En effet, tout système de valeur s’appuie à l’origine sur un ou plusieurs postulats. Ce postulat fondamental peut être la recherche de la justice, de l’égalité, de l’efficacité, du plaisir ou la volonté de puissance etc.

La vogue actuelle des droits de l’homme est fondée sur des « valeurs postulées » qui n’avaient aucune valeur pour Lénine par exemple, qui disait « tout ce qui sert la révolution est moral ».

Les Islamistes aujourd’hui disent que tout ce qui favorise l’expansion de l’Islam est le bien. 

Les nazis estimaient que la valeur fondamentale était l’amélioration de la race par l’élimination des plus faibles et la sélection des plus forts.

Les nationalistes de tous bords pensent que tout ce qui va dans le sens de la nation est moral.

Au nom de ces valeurs, on tue, on extermine méthodiquement, on se transforme en homme bombe, on jette des avions sur les gratte-ciels ou l’on ouvre des camps d’extermination.

Toutes les idéologies sans aucune exception se fondent sur une valeur injustifiable rationnellement mais transformée et élevée en absolu, déifiée.

Croire que tout n’est pas permis à l’homme ne peut se justifier logiquement car il est impossible d’avancer un argument qui ne soit pas fondé sur un postulat de base.

Celui qui croit que tout n’est pas permis à l’homme, pense forcément qu’il y a des valeurs que l’on pose en absolu, et qui sont une manière laïque de croire en D.ieu.

La Bible et le Judaïsme se fondent également sur une hypothèse de base, à savoir que la Création et l’homme ne sont pas les fruits du hasard, et que l’une et l’autre ont un sens.

La Création est un événement extraordinaire, éblouissant, un miracle stupéfiant. L’existence de l’homme, capable de comprendre, de mettre à son service, de transformer cette Création est tout aussi admirable.

L’aventure humaine, aboutissement de la Création a un sens dans les deux sens de ce mot : signification et direction.

La Création a un commencement (la Bible commence par le mot « Au commencement »), elle a donc aussi une fin : l’avènement d’un monde messianique.

Entre les deux, il y a l’histoire tâtonnante de l’homme qui, ivre de sa liberté, se détourne du modèle imaginé pour lui et invente civilisation sur civilisation.

Chacune charrie sa part de bienfaits et de méfaits. Chacune apporte son lot au progrès que l’on confond à tort avec le bien.

Le progrès est moralement neutre et peut être mis indifféremment au service du bien comme du mal. Hier, grâce à la roue on pouvait transporter du bois mais aussi des soldats armés pour tuer et aujourd’hui, on peut avec l’atome faire de l’électricité ou décimer un peuple. Le progrès moral ne se confond pas avec le progrès matériel qui renforce et multiplie le bien comme le mal.

C’est pourquoi, l’histoire de l’homme est à la fois une épopée merveilleuse et une effroyable tragédie.

« Science sans conscience n’est que ruine de lâme » écrivait Rabelais.

Et le problème central de la Bible est le bien et le mal, l’émergence à travers une histoire douloureuse et tragique de la conscience et d’une certaine morale.

La seconde Table de la Loi nous dit quelles sont les règles morales que l’homme doit choisir s’il croit que la Création et l’aventure humaine ont un sens, ce qui est très exactement le fondement de la foi en D.ieu.

Mais si le monde est le fruit du hasard, si, comme l’écrivait Shakespeare, c’est une histoire de fou racontée par un idiot, alors aucune valeur ne s’impose, l’homme est libre de choisir le plaisir ou la puissance comme valeur fondamentale, comme choix existentiel.

Peuple témoin

On peut maintenant définir quelle est la mission que D.ieu a dévolue aux Juifs.

Elle tient en un seul et unique mot : témoin.

Shema Israël

Dans la célèbre profession de foi des Juifs, Shema Israël, le Ain du premier mot et le dalet du dernier sont très fortement grossis et mis en gras.

Ces deux lettres réunies signifient « témoin », et c’est la raison pour laquelle elles sont mises en relief par une calligraphie particulière. Et ce témoignage est multiple.

L’histoire du peuple juif, sa survie malgré trois mille ans de persécutions, l’oeuvre impressionnante que constitue la Bible et son rôle dans l’histoire de l’humanité sont un défi à la logique et à la rationalité : il y a un mystère d’Israël.

A la question : quelle est la preuve de l’existence de D.ieu, nombre de penseurs ont répondu, l’existence et la survie du peuple juif, Israël, qui porte d’ailleurs le nom de D.ieu, El, dans son nom, témoigne de D.ieu.

Second témoignage : Israël est le gardien de la Révélation, de l’Écriture

Le texte de la Torah a été conservé et transmis de génération en génération sans aucune altération d’aucune sorte, ni suppression d’apparentes fautes d’orthographes, de points, de crochets et autres « anomalies », grâce à des techniques de contrôles étonnamment élaborées perpétuées d’âge en âge. C’est la version « massorétique » (c’est-à-dire par transmission). On a retrouvé des parchemins et do­cuments datés de 800 avant notre ère et constaté que les textes en sont identiques à ceux d’aujourd’hui.

Les Sifrei Thorah, sont considérés comme saints et doivent être sauvegardés au péril de la vie. Dans leurs fuites, chassés par les pogroms, les Juifs abandonnaient tout sauf les Sifrei Thorah.

Grâce à eux, les Écritures sont un trésor disponible et accessible à tout homme qui voudrait y chercher une réponse possible au mystère de la condition humaine. Les Juifs témoignent de l’inaltérabilité de la Parole.

Gardiens des Écritures, les Juifs, bien sûr les pratiquent et en portent ainsi témoignage en se soumettant à nombre de rites dictés par la Bible. Même les non pratiquants se soumettent au moins à quelques rites fondamentaux, circoncision, bar-mitsva, mariage, rites funéraires et le plus souvent, au moins, Kippour. Tous les rites juifs sans exception trouvent leur origine et leur explication dans la Bible.

Le peuple juif a accepté ce très lourd fardeau et a perpétué les leçons de la Bible au péril de son existence et en payant un tribut très lourd en vies.

Par ces témoignages, les Juifs ont très convenablement réussi la mission qui leur été assignée. Mais il reste un dernier témoignage qu’ils n’ont que très partiellement réussi à assumer, et qui nous ramène directement au point de départ de cette réflexion : c’est leur témoignage de la terre promise.

Terre promise

Cette terre leur a été attribuée pour y fonder en toute liberté une collectivité fondée sur des valeurs autres que celle de toutes les autres nations, les valeurs de la Bible, une société fondée sur la justice, la vérité et la paix.

Cette société a pris d’abord la forme d’une fédération de tribus, puis d’un royaume qui s’est ensuite divisé en deux, Israël et Judée, et à nouveau, après une interruption de près de deux millénaires, un État. C’est à cette fin que D.ieu leur a promis cette terre.

Cette mission est révélée par Moïse seulement quelques jours avant sa disparition, au cours de son ultime discours à tout le peuple réuni, en deux versets :

« Regarde. Je vous ai enseigné aujourd’hui des lois et des préceptes comme me l’a ordonné l’Éternel, mon Seigneur, mon Dieu afin que vous les mettiez bien en pratique dans le pays où vous allez entrer pour en prendre possession. Observez-les et mettez les en pratique ; ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des nations. Lorsqu’elles entendront parler de toutes ces prescriptions, elles s’écrieront : « Elle ne peut être que sage et intelligente, cette grande nation ! »  (Deutéronome 4 : 5-6)

C’est en vue de cette mission exemplaire au bénéfice de l’ensemble de l’humanité que D.ieu s’est donné un peuple, l’a éduqué et l’a fait entrer dans ce pays.

Il s’agit de démontrer que la violence, la haine, les luttes fratricides, la décadence morale et spirituelle ne sont nullement une fatalité qu’il est possible à l’homme de revenir à sa vocation originelle, perfectionner le monde dont il est le gardien.

D.ieu a délivré au peuple juif le « mode d’emploi » de la Création pour en être le gardien, pour le mettre en pratique, pour qu’il devienne « la lumière pour les Nations » qui prennent l’obscurité spirituelle dans laquelle elles vivent pour la lumière, qui émanera de Jérusalem et vers laquelle le monde se tournera à la fin des temps, pour ouvrir une nouvelle ère, dont la nôtre n’est que la Préhistoire, les temps messianiques que les prophètes ont imaginés et décrits en termes inoubliables.

Notons que cette ère ne résultera pas d’un Djihad victorieux, ni d’un empire conquérant le monde, encore moins d’une conversion des hommes au Judaïsme !

S’il y aura conversion, ce ne sera ni au Judaïsme ni au Christianisme, ni à l’Islam, ce sera une conversion directement au D.ieu unique et l’adoption des valeurs de Vérité, de Justice et de Paix de la Révélation.

Mission impossible

C’est sur ce plan-là que le peuple juif n’a pas réussi sa mission à l’exception de quelques moments privilégiés aux temps de Samuel, de David, de la première partie du règne de Salomon, d’Ezéchias, de Josué etc.

Pourquoi les Juifs n’ont-ils pas réussi à relever le défi d’édifier une société exemplaire ?

De toute évidence, d’abord parce que ce sont des hommes et non des surhommes, et qu’être « saint » pour un homme est déjà une tâche presque surhumaine, mais que dire s’il faut que tout un peuple soit saint et ce, de génération en génération ?

On peut plaider en outre quelques circonstances atténuantes.

Israël était une toute petite nation qui s’est trouvée confrontée à des empires à ses frontières : l’Égypte, l’Assyrie, Babylone, la Perse, des empires qui n’étaient guère enclins à accepter l’indépendance et le particularisme de cette minuscule enclave nationale. A cela s’ajouta la pression des « peuples de la mer », Philistins, Grecs et Romains.

Ensuite, tous ces grands empires furent aussi, pour certains d’entre eux, ce que l’on appelle des « civilisations dominantes » qui dans l’histoire (y compris de nos jours) ont exercé par leur splendeur une fascination sur les autres nations de leur temps. Il s’en suit toujours un phénomène de mimétisme avec deux conséquences inévitables, l’une positive, l’assimilation par les autres nations des progrès qui ont permis à cette civilisation de devenir dominante, et aussi, négativement, la perte d’une part et parfois même de toute son identité d’origine.

Souvent les Juifs ont succombé plus ou moins à ce mimétisme et cru, à tort, que leur identité était de moindre valeur. Ils ont voulu copier les mœurs, les coutumes, la langue de ces maîtres du moment, Égyptiens, Babyloniens, Grecs, Romains, Perses, Européens et Américains aujourd’hui.

Les Romains, que les Juifs ont fait venir dans le bassin oriental de la Méditerranée lors de leur guerre contre la Grèce, ont fini par se retourner contre leur allié de la veille et les ont écrasés lorsqu’ils ont manifesté trop d’indépendance.

La Bible avait prédit aux Juifs que s’ils perdaient leur identité, ils perdraient leur territoire et serait éparpillés à travers les nations.

Israël et son identité, face aux défis des empires modernes

Ce long détour était nécessaire car Israël se trouve aujourd’hui devant exactement les mêmes problèmes que ceux rencontrés par les Royaumes juifs avant la grande dispersion.

C’est à nouveau une minuscule nation entourée d’ennemis les Philistins sont devenus les Philistins (Palestiniens en arabe), l’Assyrie la Syrie, Babylone l’Irak, la Perse, l’Iran, et l’Egypte n’a pas changé de nom en devenant terre musulmane. Hier, les Juifs ont été pris dans la tourmente des puissances grecque et romaine ; de notre temps, l’Empire anglais, l’URSS et les USA ont créé dans leur lutte d’influence de graves problèmes à Israël. L’émergence de l’Europe et de l’ensemble israélo musulman ont compliqué une donne déjà suffisamment complexe.

Il est clair qu’hier comme aujourd’hui la géopolitique a été et reste déterminante et qu’elle pèse très lourd et pour longtemps dans l’avenir d’Israël.

On assiste à nouveau à une fascination de l’Occident et à un mimétisme destructeur de l’identité juive.

Mais le plus grave, et de loin, est l’érosion de la volonté de créer un État modèle, fondé sur des valeurs différentes, qui était très sensible jusqu’à la fin des années 60, avec les kibboutzim, l’esprit pionnier, une démocratie vivante et participative.

C’est la mission même du peuple juif qui est actuellement remise en cause par les dirigeants actuels, politiciens dénués de souffle et d’inspiration, incapables de mobiliser le pays derrière un grand dessein, inconsistants dans leur politique extérieure, gérant au jour le jour des événements qu’ils subissent et auxquels ils réagissent sans plan, sans perspective, sans grande ambition.

Nous le disons très clairement : il n’y aura pas d’avenir pour Israël, si nous ne renouons pas avec la clef de notre identité : édifier un État fondé sur les valeurs essentielles de notre patrimoine biblique : la Justice (avec un grand J) et la Vérité (avec un grand V).

Or, ceux qui vivent en Israël le savent bien : la classe dirigeante sinon le peuple, s’enfonce chaque jour davantage dans le mensonge, la corruption, la soif d’un pouvoir sans partage, indifférente à la paupérisation des plus faibles, aux inégalités les plus flagrantes, tandis que l’hédo­nisme se répand ainsi que la débauche dont le signe le plus dégradant est l’odieuse copie de la Gay pride américaine à Jérusalem. 

Les Nations sont libres d’organiser des Gay pride, mais pas les Juifs. Et lorsqu’on apprend que le gouvernement a fait charger la foule des protestataires (qui devraient d’ailleurs se compter par centaines de mille !), par la police montée, on pourrait se croire revenu aux temps d’Achab et de Jézabel.

Quand on parle de refonder Israël, de lutter pour un Israël différent, cela va beaucoup plus loin que le respect individuel du Judaïsme : il s’agit cette fois d’une ambition collective conforme à notre mission, telle que la définit la Bible.

Un dessein national

C’est ici que se pose la question que nous avons mise entre parenthèses au début de notre réflexion.

Peut-on aujourd’hui fonder une identité en s’appuyant sur l’hypothèse invérifiable de l’existence de D.ieu et la foi très subjective en une « mission » du peuple juif ? 

Pourquoi les athées ou les laïcs juifs devraient-ils adopter ou se soumettre à ces principes ?

Le miracle de la Bible c’est qu’à travers des récits dont beaucoup paraissent à première vue relever des contes et légendes, nous touchions à des vérités universelles.

Qui pourrait nier, et sûrement pas des Juifs, seraient-ils laïcs ou athées, que notre planète, qu’elle soit fruit du hasard ou d’une volonté divine, soit une oeuvre d’une beauté stupéfiante ?

Qui peut nier, et sûrement pas des Juifs seraient-ils laïcs ou athées, que la violence, voire la barbarie, et l’injustice y règnent et qu’il y a un paradoxe insupportable à penser que des centaines de milliers d’êtres humains périssent de faim alors que la terre surproduit des fruits, des légumes, que la mer regorge de poissons et les airs d’oiseaux comestibles ?

Qui pourrait croire, et sûrement pas des Juifs, seraient-ils laïcs ou athées, que la terre est devenue un paradis terrestre où règne la justice, la vérité et la paix ?

Quel Juif, serait-il laïc ou athée, ne rêve pas de voir Israël devenir un pays modèle d’une authentique fraternité entre les hommes, où régneraient la justice et la paix ?

Qui ne voit que l’idéal du Judaïsme rassemble, au lieu de les opposer, le meilleur des idées de droite comme de gauche, la famille, le travail, les études, la liberté, le bien-être mais aussi la justice sociale, la protection pour les faibles, les démunis, les étrangers, la culture pour tous etc. ?

Malgré les épreuves terribles subies par Israël pendant une trentaine d’années, cet idéal d’un pays idéal était alors sensible à tous les échelons du pays.

Aujourd’hui, chez les dirigeants bien plus que dans le peuple, règne le « pragmatisme », la « realpolitik », le souci des intérêts particuliers avant l’intérêt général, l’imitation de ce qu’il y a de meilleur mais aussi de ce qu’il y a de pire dans la civilisation occidentale.

On prétend que les menaces permanentes qui pèsent sur Israël, sont à l’origine de cette perte d’âme. Mais les menaces qui pesaient sur Israël de 1958 à 1967 étaient bien pires encore.

Et malgré tout, la situation était bien plus douce que celle qu’a connue la génération du temps d’Hitler, ou de l’affaire Dreyfus, sans parler du temps de l’expulsion de France et d’Angleterre, puis celle plus terrible encore d’Espagne et de l’inquisition, ou au temps des pogroms en Russie tzariste.

Quel Juif troquerait aujourd’hui contre hier ?

L’argument ne vaut donc rien.

La vérité est que la génération précédente était dotée d’un courage et d’une persévérance exceptionnelle ; La génération des fils a envie désormais de jouir de la vie, et les héros sont fatigués.

Israël a besoin de se ressourcer, de se refonder, d’adhérer à un grand dessein pour le peuple juif et pour l’État d’Israël. Les Juifs ne peuvent vivre que les yeux fixés loin devant eux. Mais chacun semble aujourd’hui obnubilés par le présent. Mais le présent est un temps qui n’existe même pas en hébreu !

Un Juif est comptable devant les générations passées et les générations futures : le présent n’est qu’un passage.

Pour conclure cette brève introduction au vaste problème de l’identité juive, rappelons que depuis quelques années, nous avons pour devise :

« Le peuple de la Bible, sur la terre de la Bible, pour y édifier une société sur les valeurs de la Bible ».

Ce ne devrait pas être une devise pour notre seul journal. A nos yeux, ce devrait être celle de l’État d’Israël. 

1) La science moderne loin de contredire le récit de la Création, le conforte sur plusieurs points. Les 6 jours ne peuvent être des jours mais des ères, car le soleil a été créé au 4ème jour. 

Nous renvoyons au remarquable article sur l’âge de la terre paru dans notre numéro 257, du Dr. Gerald Schroeder, physicien atomiste, enseignant du célèbre M.I.T., membre de la Commission à l’énergie atomique des États-Unis, auteur du livre: Genesis and the Big Bang (Bantam Books 1990). H a récemment publié l’ouvrage The Science of G.od.

2) Dieu a voulu l’homme libre : la meilleure des preuves est qu’il lui interdit de manger des fruits de l’arbre de la Connaissance et de l’arbre de Vie. S’Il lui interdit, c’est qu’il peut transgresser ! Dans la littérature sapientiale, ce point a donné lieu à de longues dissertations rabbiniques. La liberté implique le risque de la transgression, mais si l’homme était déterminé pour faire le bien, comme l’araignée à tisser sa toile, ses actes n’auraient aucune valeur morale ! (suite et fin).

Notes

Cet article est sous copyright car il s’agit d’un résumé d’un livre en cours de rédaction sur ce sujet. Il ne peut être reproduit sans mention de l’auteur, Robert Nessim Cohen-Tanugi, rédacteur en chef de la revue bi-mensuelle « Le Lien Israël-Diaspora ».

Le journal Le Lien Israël-Diaspora (créé en 1980) est animé par des Israéliens et des Français francophones, profondément engagés.

Paul Giniewski, N.R Cohen Tangui, Robert Cotta, Filippo Eminente et Ytz’hak Saada en sont les principaux membres.

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