Yom Kippour

L’une des plus célèbres fêtes du judaïsme est certainement celle dont on traduit trop rapidement le nom par Grand Pardon : Yom Kippour.

Yom Kippour se traduit parfois par « jour de l’expiation ». Mais en français, un homme qui expie ses fautes, c’est un homme qui « paie » pour ses fautes. Comme si la souffrance infligée allait réparer la faute.

Cette fête est si particulière qu’elle a même donné naissance à une sorte de juif : le fameux « juif de Kippour ». Qu’y a t-il de si particulier à Yom Kippour, pour que tant de juifs parmi les plus éloignés de la religion, se pressent à la synagogue ce jour-là ?

Recouvrir nos fautes

La racine KPR (de KiPPouR) veut dire littéralement recouvrir.

Sous certaines conditions, D.ieu recouvrirait nos fautes, les effacerait de notre regard, de notre conscience.

Réfléchir à ses fautes passées et présentes, les regretter, les dire et tenter de réparer le réparable, c’est la tâche de l’homme. 

L’expiation, c’est D.ieu qui l’offre.

Si j’ai fait ce qu’il fallait, la faute ne sera plus un obstacle sur ma route.

Yom Kippour me permet de remettre les compteurs à zéro.

Précisons que ce pardon d’un genre très particulier obtenu à Yom Kippour, ne s’applique qu’aux fautes commises envers D.ieu.

Pour tous les méfaits au détriment d’autrui, seul un pardon réel, sincère, et une réparation consentie par la victime, pourront rétablir la situation entachée.

De Rosh HaShana à Yom Kippour

Yom Kippour tombe toujours exactement dix jours après le nouvel an juif, Rosh HaShana, c’est-à-dire au début de l’automne.

Yom Kippour clôt ainsi une série de dix jours qu’on appelle les dix jours de repentance, « asseret yemé techouva ». 

L’année juive commence donc par un moment de retour sur soi, de bilan de l’année passée, pour porter un regard nouveau sur l’année qui débute.

Chacun fait son propre bilan ET toute la communauté s’y attèle au même moment, au même endroit, sur fond de musique vocale aussi belle qu’efficace.

La tradition juive emploie l’image du maître du monde tenant un registre dans lequel il inscrit ceux qui apparaîtront dans le Livre de la Vie (= le sefer hah’ayim), en fonction de l’authenticité du repentir effectué pendant cette période.

Si à Rosh HaShana nous prions pour être inscrits dans ce livre, à Yom Kippour nous implorons D.ieu d’apposer son tampon, sa signature finale à son verdict. C’est donc ce jour-là que notre sort est littéralement scellé.

C’est à partir de ces livres virtuels où s’inscrit notre avenir de la main divine, que se sont développés les souhaits de ketiva va’hatima tova : une bonne inscription et un sceau favorable.

On comprend bien alors pourquoi ces deux jours, (Rosh HaShana et Yom Kippour) sont appelés les jours redoutables (= yamim noraïm), étant donné leur enjeu existentiel, spirituel et religieux.

Le mouvement d’ensemble qui accompagne ces jours est celui du repentir de la techouva (littéralement : le retour).

Faire techouva (repentance) est un des 613 commandements de la Torah, qui considère que l’homme n’est pas un ange et qu’il sera tôt ou tard amené à commettre des erreurs plus ou moins importantes. 

Ce commandement est valable tous les jours de l’année. Mais dix jours durant, et en vérité trente jours avant Rosh HaShana, au son du Shofar et en récitant des prières spécifiques de repentance (seli’hot), au milieu de la nuit ou à l’aube, nous faisons « le plein » de cet ingrédient-là : le regret et la réparation, pour obtenir l’expiation de la part de D.ieu.

Comme souvent dans la tradition juive, c’est l’homme qui prend son destin en main en négociant sa destinée avec D.ieu.

Il n’y a pas de pardon par substitution. C’est l’auteur de la faute qui en est responsable et c’est sa démarche de réparation qui peut, à Yom Kippour, faire l’objet d’expiation, de la part de D.ieu.

Cette négociation s’effectue en premier lieu par un élément central du judaïsme, la prière.

Yom Kippour est probablement le seul jour de l’année où un juif passe la majeure partie de sa journée dans la synagogue.

Le jour de Yom Kippour

Cinq temps de prières rythment cette journée.

Un élément fondamental, commun aux cinq prières, est la marque exclusive de Yom Kippour.

Le vidouï

Plus qu’une simple confession, le vidouï est une reconnaissance.

La racine V D H a trois sens : reconnaître, être reconnaissant et avouer, qui se voudrait au sommet de la sincérité.

Devant soi et devant D.ieu, on va reconnaître une liste de types de fautes que nous avons pu commettre :

  • la médisance,
  • la fraude,
  • le double langage,
  • l’irrespect des parents et des maîtres,
  • les interdits sexuels,
  • l’arrogance etc…s’énumèrent à la première personne du pluriel, « NOUS ».

Si je n’ai pas commis cette faute, quelqu’un l’a faite, au sein de la communauté à laquelle je m’associe à Yom Kippour.

La solidarité est l’âme de cette journée.

Le pardon individuel s’obtient au sein de la collectivité.

Dans la plupart des rites, le vidouï est accompagné du geste de la main droite qui frappe symboliquement le cœur.

1- Kol Nidré

Des cinq prières, la première, la veille au soir, commence par le célèbre Kol Nidré (= TOUS les voeux et les promesses), une annulation de tous les engagements prononcés. 

Comme la majorité des prières juives, elles ne datent pas du temps de la Torah.

Ainsi, l’annulation concerne les vœux de l’année écoulée ou ceux de l’année à venir, ou les deux à la fois, selon les rites locaux.

Le Kol Nidré est d’abord un moment d’affirmation d’allégeance à la communauté : il ne se récite pas seul.

Il marque aussi, en ouverture des 26 heures de parole dirigée, une mise en garde sur le poids des mots pour l’année à venir.

2- Cha’harit

La seconde prière de Yom Kippour, celle du matin, c’est Cha’harit (= la prière de l’aube).

Les paragraphes habituels s’enrichissent de poèmes spécifiques tous écrits, pour encourager le repentir et l’humilité.

3- Moussaf 

La prière la plus longue est celle de moussaf (= le supplément). Elle comprend de longs passages qui décrivent le service effectué par le Grand Prêtre, le cohen gadol, pendant Yom Kippour au temps du Temple, pour obtenir le pardon pour le peuple.

C’est d’ailleurs de ce rituel que provient une expression rentrée dans la langue courante en français : celle du bouc émissaire.

Dans une mise en scène collective et minutieuse, la nation entière voit un bouc être conduit vers une falaise escarpée.

Avant de partir, il est symboliquement chargé « de tous les péchés d’Israël », des fautes du peuple tout entier.

Un homme l’accompagne et l’éloigne de la vue de tous. La nation ne verra pas la fin dramatique du « bouc émissaire », mais chacun aura symboliquement éloigné ses fautes passées. Même si le bouc émissaire ne remplace pas la techouva (= repentance), il la prépare.

Ajoutons que Yom Kippour était le seul jour de l’année où le grand prêtre pénétrait dans le saint des saints (où se trouvait l’arche d’alliance contenant les tables de la loi. )

4- Min’ha

La prière de l’après-midi, s’appelle min’ha (= un cadeau offert). C’est toujours l’heure propice à l’acceptation des prières.

Un important travail est en cours, engagé depuis au moins la veille.

La fin de la journée approchant, une impression d’urgence naît de contribue aussi à en faire une sorte d’heure de vérité.

5- Néila

La dernière prière, celle de néila (= fermeture des portes), va clore ce véritable marathon de prières et s’achèvera sur un viddouï abrégé et une déclaration solennelle de l’unicité de D.ieu.

Une unique sonnerie de Shofar sera le son apaisant et l’ultime cri de cette journée.

Les prières sont consignées dans un livre de prières spécifique, le ma’hzor, qui expose une trame de prières et de lectures de textes, communes à tous les rites. Mais les différentes diasporas ont produit chacune son florilège de poèmes sophistiqués et de musiques d’une portée émotionnelle étonnante.

Les 5 privations liées à Yom Kippour

La prière et l’effort collectif mis à part, il existe cinq privations auxquelles on se soumet à Yom Kippour. 

La plus connue est celle du jeûne. De la veille de Kippour jusqu’à la sortie de la fête, on s’abstient de boire la moindre goutte et de manger la moindre miette.

Pour autant que son état de santé le permette, car le malade ou la femme enceinte sont autorisés à manger dans certaines conditions.

En marque d’humilité, on évite aussi de porter des chaussures en cuir, signe de confort et d’aisance.

Les relations conjugales sont interdites durant Yom Kipour et tous les soins du corps sont également mis de côté pendant 24 heures : on ne se lave pas, on ne s’enduit pas de crème. 

Un super Shabbat

Ajoutons que Yom Kippour est appelé « Shabbat Shabaton », une sorte de super Shabbat, jour où l’on s’abstient des mêmes travaux qu’un Shabbat ordinaire.

C’est une autre façon de rappeler que D.ieu est le Créateur du monde, et que comme lui, nous arrêtons nos interventions dominatrices dans l’univers.

Toutes ces privations ne relèvent pas d’un quelconque plaisir de la mortification et de l’abstinence, mais permettent de se concentrer sur l’essentiel : la prière, le repentir, les regrets sincères.

C’est aussi une manière d’entrevoir dans sa chair ce qui aurait été notre sort, à la suite de nos fautes, si la kapara, c’est-à-dire l’expiation des fautes par D.ieu, n’existait pas. 

A Yom Kippour, notre « casier judiciaire » va-t-il automatiquement se vider, redevenir vierge ?

Cela serait bien trop simple si Yom Kippour fonctionnait comme un effaceur magique.

Tout dépendra des mesures de réparation que nous avons prises et de la sincérité de nos regrets.

Aucun automatisme et aucun formalisme ne peut pallier nos égarements.

Un « Yom tov », un jour heureux

Jour de jeûne et de privations, Yom Kippour est-il un jour de deuil et d’affliction ? Bien au contraire. Yom Kippour est un jour sérieux, grave, mais pas triste.

Yom Kippour, qui est appelé dans la Torah « Yom HaKipourim », est à rapprocher de Pourim : c’est un jour où les destins peuvent être inversés.

Ni deuil, ni pénitence dans les lois de Yom Kippour.

C’est un jour de fête, un Yom tov, un jour heureux, puisque nous nous réjouissons de la chance et du défi qu’offre ce jour de réparer ce que nous avons détruits. Et, si nous l’avons fait, de bénéficier de la part de D.ieu, d’une kapara (= une couverture), qui nous permet d’ouvrir un chapitre nouveau, comme après une thérapie qui serait parfaitement réussie. Si nous avons, grâce à ce travail de parole et de jeûne, l’impression que nous avons nous mêmes mis les compteurs à zéro.

Comment revenir aux réalités du quotidien après ces 26 heures hors du temps ?

S’ajoute une sixième prière aux cinq prières mentionnées plus tôt : c’est la toute première d’un jour nouveau.

La coutume pousse le fidèle vers un grain de zèle supplémentaire : si le ciel est clair, avant même de rompre le jeûne, les hommes récitent une danse virtuelle face à la lune, à l’extérieur de la synagogue. Puis de retour dans sa demeure, il pourra donner les premiers coups de marteau à la souccah, l’humble demeure de la prochaine mitsva au calendrier.

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