Le secret des attaches du Loulav, par Emmanuel Rodriguez

Chacune des fĂȘtes juives met l’accent sur un trait de caractĂšre particulier que nous sommes sensĂ©s faire Ă©voluer ; les commandements spĂ©cifiques Ă  la fĂȘte nous aident dans ce travail sur nous mĂȘmes.

Souccot est définie comme le temps de notre joie.

Sept jours durant, nous quittons notre confortable nid douillet pour une petite cabane, la Souccah. Comment cela peut-il nous rendre joyeux ?

Ce ne sont pas les objets dont nous nous entourons qui font notre bonheur. On peut vivre dans un vĂ©ritable palace et ĂȘtre malheureux. Inversement, on peut ĂȘtre trĂšs heureux en vivant dans une cabane au fond des bois.

La clĂ© de la joie et du bonheur rĂ©side dans nos relations ; nos relations avec autrui, avec nous-mĂȘmes et avec D.ieu.

Les Arba Minim (les quatre espĂšces)

Chaque jour de Souccot (exceptĂ© Shabbat), du 15 Tichri au 21 Tichri, nous prenons les Arba Minim, c’est-Ă -dire les « Quatre EspĂšces » :

  • une branche de palmier (loulav)
  • des branches de saule (aravot)
  • des branches de myrte (hadassim)
  • et un cĂ©drat (Ă©trog)

On compose un bouquet de ces quatre espĂšces d’arbres. En tenant le bouquet de la main gauche, on bĂ©nit en direction des quatre points cardinaux, vers le haut et le bas.

La signification des attaches

La coutume veut que l’on fasse, sur le palmier (le Loulav), trois attaches, qui correspondent aux trois Patriarches.

Ainsi, en plus de l’attache qui lie les trois espĂšces ensemble, on en fait deux autres, Ă  mĂȘme le Loulav, pour en serrer les feuilles (cf. Choul’hane ‘Aroukh Admour (1), chap. 651, 11).

Et, l’attache infĂ©rieure, qui relie les trois espĂšces, est triple, sur une distance d’un TĂšfa’h (2).

On peut donner, à ce propos, l’explication suivante.

Les trois Patriarches correspondent aux trois attributs de l’émotion :

  • Abraham – Avraham correspond Ă  la bontĂ© (‘Hessed)
  • Isaac – Yits’hak correspond Ă  la rigueur (Guevoura)
  • Jacob – Ya’akov correspond Ă  la misĂ©ricorde (TifĂšreth)

L’attache infĂ©rieure, qui correspond Ă  Ya’akov, est triple, car TifĂšreth porte en elle ‘Hessed (la bontĂ©) et Guevoura (la rigueur), cumulant ainsi les trois domaines du sentiment Ă  la fois.

Ceci nous permettra de comprendre pourquoi les deux attaches supĂ©rieures sont Ă  mĂȘme le Loulav, afin d’en “serrer les feuilles”, alors que la troisiĂšme rĂ©unit les trois espĂšces.

En effet, c’est prĂ©cisĂ©ment par la force de “TifĂšreth”, la “ligne du milieu”, que l’on peut rassembler plusieurs espĂšces diffĂ©rentes.

Jacob, la ligne du milieu

Les deux attaches supĂ©rieures n’ont pas la force de rassembler.

Elles ne font que serrer les feuilles, lesquelles, d’ordinaire, en poussant, s’écartent de la branche du milieu. De fait, une emprise des forces du mal sur la manifestation, ici-bas, des attributs de ‘Hessed (la bontĂ©) et Guevoura (la rigueur) n’est pas exclue.

C’est ainsi qu’Avraham donna naissance Ă  Ismael (YichmaĂ«l) et Isaac (Yits’hak), Ă  ‘Éssav.

Il faut donc les attacher pour les empĂȘcher de se rĂ©pandre, de se sĂ©parer de la branche centrale qui est leur origine.

TifÚreth, la miséricorde de Jacob

La troisiĂšme attache, par contre, n’a pas pour but d’empĂȘcher une distension, car les forces du mal n’ont pas d’emprise sur l’attribut de TifĂšreth.

Il est dit de Ya’akov que “sa couche est intùgre”.

Il suffit donc de rassembler les diffĂ©rences espĂšces pour que se rĂ©alise l’interaction.

A Hocha’na Rabba

Cela nous permet de comprendre pourquoi, Ă  Hocha’na Rabba (3), on ĂŽte les deux attaches infĂ©rieures se trouvant sur le Loulav, avant la lecture du Hallel (4).

Il ne reste alors que les trois attaches supérieures, réunissant le Loulav aux branches de myrte et de saule.

Au sens le plus simple, ces attaches sont ĂŽtĂ©es, Ă  Hocha’na Rabba, parce qu’elles empĂȘchent de secouer le Loulav, (Taz au dĂ©but du chap. 651), et que la joie provoquĂ©e par ces secousses s’en trouverait rĂ©duite.

Or, Hocha’na Rabba est le dernier jour de Souccot et il est dit que “tout va d’aprùs la conclusion”.

Il faut donc multiplier les secousses du Loulav, et la joie. En ce jour, celle-ci est particuliĂšrement importante et elle apporte la lumiĂšre.

Ainsi, disparaüt l’emprise des forces du mal.

Pour autant, le mal conserve une certaine place, à Hocha’na Rabba.

Il reste donc nĂ©cessaire de prendre les quatre espĂšces, dont le but est de faire la proclamation suivante : “Nous savons que la victoire est avec nous !” (Midrache Vayika Rabba 30, 2).

Pour autant, cette victoire se rĂ©vĂšle alors de maniĂšre dĂ©finitive, et il n’y a donc pas lieu de craindre l’emprise du mal, comme on l’a dit.

Chemini ‘Atsùreth et Sim’hath Torah

Il n’en est pas de mĂȘme pour Chemini ‘AtsĂšreth et Sim’hath Torah. Il est alors totalement inutile de faire mention de la victoire et, de ce fait, on ne prend plus les quatre espĂšces.

D’emblĂ©e, les forces du mal sont Ă©cartĂ©es, ainsi qu’il est dit “pour toi seul et les Ă©trangers n’y ont pas part, avec toi” – “Il n’y a, devant le Roi, qu’IsraĂ«l seul !”.

Notes

(1) Le Choulhan Aroukh (en hĂ©breu :Â Ś©Ś•ŚœŚ—ŚŸ ŚąŚšŚ•ŚšÂ = « table dressĂ©e ») est un code de Loi juive compilĂ© par Joseph Caro au 16e siĂšcle. L’ouvrage édicte les lois attenant aux quatre principaux domaines de la vie juive (vie quotidienne, vie « religieuse », vie conjugale et droit civil) en suivant principalement les opinions d’Isaac Alfassi, MoĂŻse MaĂŻmonide et Asher ben Yehiel.

Admour est l’acrostiche des titres ADonĂ©nou MorĂ©nou VeRabĂ©nou. Soit « notre MaĂźtre, notre Enseignant, et notre Rav. »

Quant au Choul’hane Aroukh HaRav, il s’agit d’une oeuvre halakhique incontournable, unique dans sa maniĂšre d’allier la concision Ă  la clartĂ©, et la lĂ©gislation Ă  l’explication.

(2) TĂšfa’h : la longueur d’un TĂ©fa’h est Ă©gale Ă  la largeur de 4 doigts (Etsba’ot), soit environ 8 centimĂštres. (Source Talmud Mena’hot 41b et Rambam, Hilkhot Chabbath, fin du chapitre 17).

(3) Hocha’na Rabba (Hoshanna Rabba, en hĂ©breu : Ś”Ś•Ś©ŚąŚ Ś ŚšŚ‘Ś”, « Grande Hoshanna ») est le septiĂšme et dernier jour de la fĂȘte juive de Souccot.

CĂ©lĂ©brĂ©e au moins depuis l’Ă©poque du second Temple avec un rituel particulier, la fĂȘte acquiert ensuite une importance propre jusqu’Ă  devenir, sous l’impulsion de la Kabbale, le dernier des Jours redoutables, au cours duquel le jugement rendu Ă  Roch HaShana et consignĂ© Ă  Yom Kippour est scellĂ© et entre en vigueur. Hoshanna Rabba n’apparaĂźt pas dans la Bible hĂ©braĂŻque.

(4) Le Hallel (en hĂ©breu :Â Ś”ŚœŚœ « Louange Ă  D.ieu ») est une priĂšre d’institution rabbinique, composĂ©e des psaumes 113 Ă  118. Il est rĂ©citĂ© lors de la plupart des fĂȘtes juives d’origine biblique ainsi qu’aux jours de louange.

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