Dans les pas des Prophètes, par Moshe Pearlman

Certains étaient fougueux, impulsifs, primitifs, excentriques ; d’autres étaient pensifs, persuasifs, formalistes, raffinés.

Tel dut, pour sauver sa vie, fuir le courroux d’une reine ; tel autre fut courtisé par des rois.

Certains évoluaient à l’aise dans les antichambres du pouvoir, d’autres ne se sentaient chez eux que sous la tente d’un paysan.

Certains étaient agriculteurs ou pâtres, et méditaient sur les profondeurs de la vie tout en labourant le sol ou en suivant les troupeaux. D’autres étaient des lettrés, d’habiles politiques, dont les chancelleries royales recherchaient, ou toléraient, les conseils.

Cependant, quelque différents qu’ils fussent différents l’un de l’autre, quelque différents que fussent leur position, leur personnalité, leur style, tous étaient animés d’une dévorante passion : extirper de l’homme le mal et réveiller en lui la rectitude.

Tous luttèrent vigoureusement pour la justice, sincères et intrépides, dénonçant la corruption à une époque où la franchise avait bien souvent la mort pour salaire.

Tous, en effet, étaient courageux ; et ils étaient également compatissants. Tous étaient des visionnaires, sources de vérité inspirée, révérés (encore que ce ne fut pas toujours le cas de la part de ceux que leur langue prenait pour cible) comme de divins interprètes qui transmettaient au peuple, la Parole de D.ieu.

Ils étaient bien armés pour cette tâche, car tous avaient une touche de génie poétique, un inégalable don pour manier le langage et l’image, et leurs sublimes paroles ont eu depuis lors sur le comportement des hommes un impact irrésistible et sans précédent.

Ces hommes étaient les prophètes hébreux d’autrefois, dont la noblesse de pensée et la grandeur d’expression ont gardé aujourd’hui le même impact, la même puissance d’émotion que lorsqu’elles s’exprimèrent pour la première fois il y a quelque 3000 ans.

Chaque prophète avait son propre idiome (1), et chacun s’exprimait dans le contexte de son époque ; mais tous, dans un monde séduisant de paganisme (2) facile, avaient en commun le même thème : le monothéisme d’israël et le Code inspiré de prescriptions civiles et religieuses que le peuple d’Israël s’était engagé à respecter en contractant une Alliance avec D.ieu sur le Mont Sinaï.

Au cours des générations qui suivirent ce dramatique cérémonial de l’Alliance, dont, au 13e siècle avant Yeshoua/Jésus, Moïse avait été le médiateur, les Prophètes cherchèrent à réveiller la conscience du peuple juif, en employant toutes les ressources de leurs dons à lui rappeler les engagements qu’il avait contractés.

Leurs efforts ne furent pas toujours, voire pas souvent, couronnés de succès dans l’immédiat. Mais ils aboutirent à un résultat qui devait se révéler plus durable : amener la nation juive à s’identifier à la tradition de l’Alliance mosaïque (3).

Ce qui explique que des siècles plus tard, une fois installés dans leur Terre Promise, les Juifs soient demeurés sensibles à tout appel au spirituel et dotés d’une singulière vénération à l’égard du verbe, leurs oreilles et leur coeur réceptifs à toute pensée élevée, à toute phrase empreinte de noblesse.

Même lorsqu’ils n’accordaient, sur l’instant, guère d’attention à ce qu’ils entendaient, du moins prenaient-ils grand plaisir aux exhortations de leurs poètes-prophètes. Ils les dégustaient, s’en régalaient, les répétaient et, le plus souvent après qu’il se fut produit quelque catastrophe faute d’en avoir tenu compte, s’en souvenaient et les transmettaient de génération en génération.

De Josué aux Rois

En ce qui concerne ceux que l’on nomme « les prophètes antérieurs« , ce ne fut que beaucoup plus tard que leurs paroles furent consignées par écrit.

Ces hommes, qui ont vécu entre le 13e siècle et le 9e siècle avant Yeshoua/Jésus, sont souvent appelés prophètes populaires ou préclassiques. Leurs paroles et leurs actes sont parvenus jusqu’à nous à travers les récits de leurs vies qui figurent dans les livres bibliques de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois.

D’Isaïe aux petits prophètes

Ceux que l’on nomme « les prophètes postérieurs » (couvrant la période allant du 8e siècle au 5e siècle avant Yeshoua/Jésus), et que les lettrés appellent prophètes classiques ou littéraires, sont ceux dont les propos ont le plus souvent été relatés de leur temps, soit par eux-mêmes soit par leurs scribes ou leurs disciples, et sont consignés dans les livres bibliques d’Isaïe, de Jérémie, d’Ezéchiel, et dans le livre des Douze connus sous le nom de petits prophètes (l’appellation ne s’applique pas forcément à leur importance en tant que Prophètes mais au volume de leurs écrits) : Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie et Malachie.

Du fait que l’on eût accueilli, oralement d’abord puis plus tard par écrit, les paroles des Prophètes, le peuple juif se trouva, dès le 1er millénaire avant Yeshoua/Jésus, conserver précieusement et tenir pour sacré un ensemble d’écrits, d’un style hébraïque raffiné, qui instaurait un système éclairé et profond de relations entre les hommes et entre l’homme et D.ieu, et qui devait, en fin de compte, former la base de la civilisation occidentale.

Ces récits éthiques et religieux, auxquels il faut ajouter la Loi, la Torah, et les chroniques relatant les hauts faits de leurs ancêtres, renfermaient la mémoire collective et la sagesse collective de la nation juive.

Les Livres, comme on les appelait, Ha Séfarim en hébreu, allaient être beaucoup plus tard officiellement canonisés comme la Bible.

Vénérés, lus et étudiés par chaque génération successive de Juifs, ils renfermaient le code suprême de la vie juive, donnaient aux Juifs leur religion et leur identité spécifiques, et les préservaient en tant que peuple, nourrissant leurs espoirs en tous temps, les dégrisant au sein de leurs triomphes, les encourageant au sein de leurs épreuves, les guidant et les soutenant tout au long de leurs siècles de vicissitudes.

Les Prophètes s’adressaient à un peuple donné, à un moment donné. L’impact de leurs paroles allait être universel et éternel.

Notes

Moshe Pearlman (1911-1986)

Il a d’abord travaillé comme journaliste et a émigré en Israël.

Il a rejoint l’armée du nouvel État. De 1948 à 1952, il fut le premier porte-parole de l’armée israélienne.

Soldat, diplomate et écrivain israélien, il a arrêté Adolf Eichmann en 1960.

(1) Idiome : langage, dialecte, parler

(2) Paganisme : désigne les non chrétiens/non juifs

(3) L’Alliance mosaïque : l’alliance avec Moïse, racontée dans les chapitres 19 à 24 du livre de l’Exode et dans le Deutéronome, développe la promesse faite à Abraham d’un peuple et d’une terre. La promesse de Dieu « je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » (Exode 6:7 et Lévitique 26:12) est mentionnée à plusieurs reprises, particulièrement lorsque sa présence se fait sentir parmi le peuple hébreu. Cette alliance est plus connue sous le nom d’Ancienne Alliance.

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